L’enseignement scolaire et universitaire devrait pouvoir favoriser un rapport informé et critique entretenu à l’environnement numérique. C’est toute une philosophie éducative fondée sur une compréhension active des phénomènes qui doit être encouragée: «Le fait d’être conscient de la manière dont les interfaces, les outils et les programmes influencent notre comportement est si précieux» (7). Exigence qui nécessite au préalable d’en finir avec le réflexe fonctionnaliste consistant à suivre le cours supposé inéluctable de l’histoire et à introduire de façon brusque et massive des tablettes numériques à l’école primaire et au collège. Steve Jobs, peu avant sa mort, avait recommandé à ses équipes marketing d’exercer une pression auprès des écoles afin que les élèves apprennent directement à lire via des iPad en vue de marginaliser l’usage des manuels imprimés. C’est cela la puissance ou l’arrogance du techno-pouvoir, qui entend sans état d’âme déterminer les modes d’apprentissage au nom d’intérêts privés. Car le marché de l’éducation à échelle mondiale constitue un horizon inépuisable et sans cesse renouvelé de profits.
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A ce titre l’enseignement du code à l’école participerait d’une compréhension des mécanismes internes, des logiques qui les guident, de la façon dont les processus et les usages sont définis ou conditionnés de manière algorithmique: « Il importe peu de comprendre les détails du fonctionnement très complexe d’un processeur ou d’une carte graphique. Il est par contre essentiel de maîtriser les bases de l’algorithmique et de sa mécanique du raisonnement […] Surtout, il est indispensable de comprendre le sens d’une information, comment elle est représentée, comment elle est organisée (8).» Apprentissage qui autorise également la conception individuelle de programmes, érigeant l’écriture du code comme une modalité de subjectivation revêtant une valeur désormais égale à celle de l’écriture des langues naturelles. Un des enjeux regarde la nécessaire réappropriation des protocoles numériques par les individus, non pas de ceux existant en l’état, mais de ceux pouvant faire, par la libre créativité des personnes, l’objet d’autres fonctionnalités non strictement utilisaristes et commerciales. Plus largement, c’est la culture de la science, de la technique, des machines, des algorithmes, les langages de programmation et de leur portée sociale, économique, politique, qui devrait être instituée, celle dont Gilbert Simondon déplorait déjà l’absence à son époque. C’est un projet éducatif à la fois contemporain et situé dans un juste écart que le pouvoir politique devrait dans le cadre de ses compétences favoriser, en concertation avec l’ensemble des parties concernées.